On ne va pas révolutionner les mentalités, chacun·e le sait : il y a du rififi dans l’Éducation Nationale, c’est même le grand merdier, le chantier du siècle. Les profs[1], les élèves, les parents sont maltraité·es, et à la tête des opérations, un grand gourou qui est plus occupé à sodomiser des mouches et déféquer des pendules sur le pronom iel et le woke islamogauchiste qu’à s’intéresser à son travail, et à celles et ceux qui ont besoin qu’il le fasse. Mais de quoi parle-t-on concrètement ? Mouais a mené l’enquête auprès de Al, maîtresse spécialisée, 11 ans de REP + (Réseau d’Éducation Prioritaire Renforcée) dans ses bagages (entre autres), de la maternelle à l’élémentaire.

Des incohérences en pagaille

Le fonctionnement interne de l’Educ Nat, déjà. Les injonctions faites aux enseignant·es, dont ces dernier·es ont du mal à faire sens. Le paquet mis sur le Français et les maths, par exemple, glorieusement baptisés « les fondamentaux », au détriment des autres matières, sans doute jugées négligeables, comme le dessin, la musique, la géo, l’EPS,… Faute de temps pour s’y consacrer, les profs sont obligé·es d’en faire des leçons à apprendre, un idéal pédagogique (non).  Blanquer l’a plus ou moins dit lui-même, l’important pour les gosses est de savoir lire et compter. Au-delà, c’est du bonus. Il est vrai que pour remplir des tableurs Excel et faire des comptes rendus, on a pas besoin de connaître l’histoire de la seconde guerre mondiale, les arcanes de la citoyenneté ou la capitale du Sri Lanka (refermez Google, c’est Colombo). Et c’est tout ce qu’on leur demandera plus tard.

« Tout cela sème des rivalités, des clivages »

Et ce beau savoir, il sera chiffré par les « évaluations-repères » mises en place par Jean-Mimi, pour les CP-CE1. Formidable, un outil de travail pour l’enseignant·e ! Hé non. Ces évaluations sont nationales, et sert de comparatif entre les classes, les écoles, les circonscriptions, les régions… Voilà qui ne contribue pas à un état d’esprit « collectif » dont les profs auraient bien besoin. Il s’agit bel et bien d’une mise en concurrence qui servira les politiques ; et les parents vont choisir les écoles en fonction des résultats, et tout cela sème des rivalités, des clivages… ambiance. Et cela profite à qui ?

Les classes sont en sureffectif, on le sait. Les profs ne savent plus où donner de la tête. La mesure « + 2 maîtres » mise en place par Najat Vallaud-Belkacem sous Hollande a été détruite par Macron. Elle consistait pour une école à avoir un·e instit qui faisait le tour des classes pour accompagner le/la maître·sse référent·e, ce qui soulageait beaucoup ce·tte dernie·re. Selon Al, « l’engouement du corps enseignant était unanime, et pourtant les dernières classes à en bénéficier ont disparu en 2019. »

« Les AESH sont maltraitées »

Ajoutons à cela la fameuse loi de 2004 sur l’inclusion, et l’avalanche de dysfonctionnements qu’elle a créés par le manque de moyens alloués. Les AESH (Accompagnantes[2] d’Élèves en Situation de Handicap) sont sous-payées : 933 euros bruts par mois. Elles manquent cruellement de formation malgré la responsabilité qu’implique leur travail (et pas leur mot à dire dans leurs affectations), elles ont de plus en plus d’enfants à charge, très peu valorisées, en résumé, elles sont maltraitées (voir à ce sujet l’excellent film « Debout les Femmes » de F. Ruffin), comme d’ailleurs la plupart des métiers très féminisés.

Les structures d’accueil pour les enfants en situation de handicap sont saturées, les AESH se retrouvent donc avec des enfants n’ayant pas forcément leur place dans l’enseignement « classique ». Par ailleurs, des élèves ne relevant pas du champ du handicap mais montrant des difficultés d’apprentissage ou de comportement sont de moins en moins accompagné·es correctement : les RASED (Réseau d’Aide Spécialisée pour les Élèves en Difficulté), qui comprennent normalement des profs spécialisé·es et une psychologue scolaire, se réduisent à peau de chagrin, avec un arrêt des formations et donc de créations de postes. Les psychologues sont débordé·es et se font rares, ainsi que les enseignant·es spécialisé·es. Résultat, nombre d’enfants manquent d’accompagnement adapté et les professionnel·les courent d’école en école après les veinard·es.

 « Toute demande doit constituer un projet »

Quant aux directions d’écoles, censées coordonner tout ça et garantir la cohérence pédagogique, elles se retrouvent contraintes par Jean-Mimi (toujours lui) d’avoir un statut hiérarchique qui les détache de l’équipe éducative en les plaçant en situation d’autorité. Voilà qui va sans aucun doute favoriser l’esprit d’équipe et l’entente cordiale (non), ce qui profitera à tout le monde (toujours non).

Avec tout ça, n’oublions pas la charge administrative de nos héroïques instits : comme le souligne Al, toute demande doit faire l’objet d’un écrit, justifiant des besoins, constituant un PROJET (vous l’entendez ?) pour toute intervention extérieure dans la classe (et pour planter un clou ou changer une ampoule) : un marionnettiste, une conteuse, une association… C’est à celle ou celui qui remplira le plus beau projet pour obtenir la sacro-sainte validation des grands chefs de l’Educ Nat. Idem pour les animateurs et animatrices sportives, qui sont très peu à Nice, et qui ne peuvent donc pas intervenir partout ; les profs doivent se fendre d’un projet, pour proposer aux élèves un sport qu’iels ne peuvent/savent assurer seul· es, comme le base-ball, le nautisme, la patinoire… Voilà qui crée des rivalités et donc des tensions entre les profs : fais voir ton projet, comment t’as fait pour qu’il soit validé, etc.

On l’aura constaté, tout est fait pour mettre en concurrence, pour cliver, à tous les étages. C’est la loi du plus fort. Et tout cela dans un contexte qui rend les injonctions irréalisables, ce qui mène à l’épuisement, à la perte de motivation et de sens. Un beau cocktail pour un burn-out. Dommage qu’il faille courir après les profs remplaçant·es, on va devoir répartir les élèves dans les classes. Ah non, on ne peut plus à cause du terrible « brassage » ; bon, on ferme la classe?

La start-up nation

Pour la génération de profs qui a étudié à l’IUFM il y a 20 ans et plus, à la question « qui éduque les enfants ? », la réponse n’était pas « nous les instits ». Elle englobait toute la galaxie éducative qui gravite autour de l’enfant : les profs, mais aussi les parents, les ATSEM (Agent·es Territoriales Spécialisé·es des Écoles Maternelles), les AESH, les psys, les infirmières scolaires (quand il y en avait) le personnel de cantine, les partenaires extérieurs… Il existait une vision de l’éducation globale et un réel accompagnement autour de l’enfant. Au jour de la start-up nation, du rendement, des PROJETS et des objectifs, c’est fini, chacun·e travaille dans son coin, et tout est clivé. Le tableau n’est certes pas tout noir, mais c’est une impression que beaucoup de professionnel·les ressentent et une image que les écoles nous donnent à voir.

Et puis, nous explique Al, « c’est ainsi que l’entreprise a fait son entrée dans les écoles à grands coups de lobbying : Leclerc donne des gilets à son effigie pour les têtes blondes, brunes, rousses, noires ou chauves qui vont ramasser les déchets dans la rue ; Total envoie son kit « énergies renouvelables » (sic) aux élèves… » Tout cela s’immisce de façon perverse dans le quotidien scolaire et colonise les esprits, et ce qui surprend voire choque au début ne bouscule plus parce qu’on s’y habitue, ainsi s’opère la magie de la start-up nation.

La situation à Nice

On sait qu’à Nice, tout fonctionne de façon particulière. Selon un rapport de l’Observatoire des Inégalités de 2020, avec 74 000 personnes vivant sous le seuil de pauvreté, Nice est la quatrième ville la plus pauvre de France ; on pourrait s’attendre à ce que la part d’investissement dans le domaine de l’éducation, pour les pauvres et les moins pauvres, soit à la mesure des besoins. Mais je ne vous surprendrai pas, l’éducation n’est pas l’enjeu prioritaire de la mairie.

Nice compte 154 écoles publiques, qui accueillent 30 000 élèves. Dans le rapport sur les orientations budgétaires de 2020, on apprend que le budget alloué à l’éducation est de 99,8 millions d’euros (pour comparaison, celui de la sécurité est de 90 millions, et 48 millions pour le sport). On y apprend que « la programmation d’investissement des prochaines années intègre un plan d’entretien et d’embellissement des écoles conséquent à hauteur de 22 millions d’euros ». Il faudra donc attendre un peu pour les travaux… En effet, l’état des écoles de la ville est très inégal. On sait par les associations de parents d’élèves et les personnels scolaires eux-mêmes que pour beaucoup d’établissements, l’entretien s’avère urgent : des fenêtres qui ne ferment pas, des moisissures sur les murs, des fuites, et pour toute réparation il faut contacter la mairie, établir un rapport et une demande, et si on a de la chance, c’est oui, et souvent c’est « on n’a pas de budget prévu pour ».

A titre d’exemple, à Toulouse, environ 150 000 habitant·es de plus que Nice, le budget éducation pour 2020 était prévu à hauteur de 166 millions d’euros. Celui de Nantes, 30 000 habitant·es de moins que Nice, est de 145 millions d’euros.

« Le statut des REP et REP+ interroge »

Toujours concernant les écoles, le statut des REP et REP+ interroge. Certaines écoles sont voisines, le public est donc le même, et les classements diffèrent. Un·e prof travaillant en REP+ touche un salaire d’environ 300€ supérieur à celui d’un·e enseignant·e en milieu classique ; on imagine les rivalités et les jalousies possibles : « moi aussi j’ai des enfants en difficulté, je galère pareil et je touche 300 euros de moins que toi ! ». Sachant que le point d’indice des fonctionnaires est gelé par l’Etat depuis plus de 10 ans, et que le pouvoir d’achat diminue, bonjour la tension. Pour Al, lorsqu’un·e instit va travailler en REP+, iel finit souvent pas y rester parce que perdre 300 euros de salaire, ce n’est pas évident, et iels sont en souffrance parce qu’obligé·es de rester dans un travail qui a perdu son sens, et des conditions de travail indignes (en REP+ comme ailleurs).

Un besoin de collectif

Maintenant que nous vous avons bien déprimé·es, concluons sur un mode plus positif. Tout d’abord, cet état des lieux est clairement à charge, mais c’est parce que l’enseignement est un métier formidable qu’il faut le défendre, et pour lutter, il faut commencer par constater. Or, la souffrance du personnel de l’Educ Nat est manifeste. Il a besoin de retrouver un état d’esprit collectif, une solidarité dans la lutte, bref de « faire équipe », pour retrouver un peu de sens. Mais le temps presse : les esprits se forment vite, et la nouvelle génération enseignant·e est formée par et pour la start-up nation.

Et voici une bonne nouvelle : si l’Éducation Nationale subit des avanies depuis des années par la faute des gouvernements successifs, pour en arriver à la débandade actuelle avec un ministre qui ne se fait pas remarquer par sa cohérence et ses compétences, la motivation du corps enseignant, malgré les coups, est toujours là, flamme qui pourrait être ranimée par la joie d’aller travailler, et donc par un changement de paradigme, et donc… par un changement de politique. Vous savez ce qui vous reste à faire.

Un article de AL et Tia Pantaï tiré du Mouais #23, consacré aux thématiques de l’éducation.

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[1] Pour faire court. Ne me jetez pas de fraises à la figure.

[2] Poste presque exclusivement occupé par des femmes