Alalalala, rien ne va plus dans le monde de l’entreprise, tout part à vau-l’eau M’sieursdames, le grand bouleversement attendu dans le rapport de force patronat / salariat est désormais amorcé, et même bien avancé. Dans le sillon du mouvement occidental The Big Quit (la Grande Démission), dont nous vous causons dans le Mouais#31 ce mois-ci (« L’avaleur travail », septembre 2022), d’autres phénomènes contagieux démontrent que les employés changent leur regard sur la valeur travail. Par Bob

Si vous n’avez pas le Mouais du mois dans les mains, c’est qu’il n’est pas encore sorti, ou que vous n’êtes pas abonné, vous êtes donc condamné à l’ignorance, dommage. Nos lecteurs assidus, intelligents et beaux savent à présent, ou sauront très vite, que la Grande Démission est une vague de désertion du salariat, près de cinq cent mille démissions de CDI par trimestre en France depuis un an. Remises en question depuis la crise Covid, paradoxes d’un capitalisme ravageur, bouleversements climatiques et sentiment de grand effondrement… L’adhésion à un emploi et aux valeurs d’une entreprise n’est plus si évidente, les questionnements sur les conditions d’exercice, la rémunération, l’utilité de la tâche et le sens de son engagement sont au cœur du séisme.
Donc les gens s’en vont, quittent, souvent pour un peu de repos, ou pour travailler occasionnellement pour des connaissances, privilégiant les circuits courts (compréhension du système, savoir d’où vient l’argent qui rémunère et à quoi a servi la force de travail), ou se lancent dans l’auto-entreprenariat (pas forcément déclaré). Et provoquent une crise du recrutement globalisée, ne se rendant même pas compte qu’ils contribuent à déséquilibrer les longues chaînes d’interdépendance mondiales.

Tranquille Émile

La crise actuelle du recrutement dans quasiment tous les secteurs professionnels, nous l’abordons largement dans le Mouais que vous devez acheter (ou vous abonner !), mais parallèlement à ces centaines de milliers de démissions dans notre pays (millions dans le monde), les recruteurs et managers sont confrontés à d’autres grains de sable dans les rouages.
Une de ces singularités se nomme le Quiet Quitting, francisée en « démission silencieuse ». Une révolution ! Il s’agit simplement de rester dans la boîte, faire son job, respecter scrupuleusement sa fiche de poste, et c’est tout. Pas plus. Non aux e-mails le week-end, aux coups de fil en soirée, non aux tâches superflues et à celles qui sortent des responsabilités attribuées contractuellement. Travailler oui, mais sans excès de zèle.
Ce mouvement est né sur TikTok cet été, des vidéos incitant à « lever le pied » ont été visionnées des dizaines de millions de fois, toutes invitent à ne plus se « tuer à la tâche » et à ne plus cautionner la « hustle culture » (culture du burn out). Ces vidéos sont surtout relayées par des victimes de la connexion permanente. Plus question d’accepter des heures supplémentaires et de se rendre disponible en dehors de ses horaires de travail. Le Quiet Quitting prône simplement le respect strict du contrat de travail. Ce qui induit naturellement que, pour le boulot annexe que l’on ne veut plus faire, il faut embaucher.
Les DRH désespèrent et le font savoir dans la presse et sur leurs sites spécialisés, ils ne peuvent plus compter sur l’abnégation et le travail gratuit. Et ils ne sont pas au bout de leur peine puisque une autre singularité apparaît, initiée par les plus jeunes salariés, il s’agit de la « ghostisation » des entreprises. Une fantômisation qui éprouve les managers, éconduits tels des amoureux transis sur Tinder, qui pleurent à chaudes larmes dans leurs congrès, leurs publications sur leurs groupes tels les « DRH anonymes » (oui ça existe vraiment).

Fantômisation

Un travailleur est en phase de recrutement, les entretiens se sont bien passés, le recruteur est heureux car il a mené à bien sa mission et… et la personne ne se pointe pas à son premier jour de boulot. Et elle ne donne aucune nouvelle la malotrue ! Ou bien, le salarié a déjà signé son contrat (CDD ou CDI), mais un beau matin il décide que son patron est un con, que la boîte qui l’emploie est merdique, que ce job est décidément bien pourri et… et il reste chez lui. Abandon de poste sans aucune justification, sans un coup de fil ni même un e-mail.
Le ghosting est une habitude des utilisateurs de sites de rencontres (on discute à bâtons rompus, tout se passe très bien, et d’un coup la personne disparaît sans même vous laisser l’opportunité de répondre, elle vous a bloqué, effacé de sa réalité). Cette pratique prolifère surtout chez les travailleurs de moins de trente ans et met en branle le monde de l’entreprise, car un patron n’a plus l’assurance de croiser son salarié le matin, même s’il pense avoir réuni toutes les conditions pour le fidéliser, pour qu’il reste, avec café gratuit, sourires dans l’ascenseur, petite prime, promesses de formations, meilleur salaire et compliments savamment distribués. « Mais pourquoi ?! » se demande-t-il alors que le bureau de son employé reste vide, « j’ai pourtant arrêté de les insulter, je ne mets plus la main au cul des meufs, je ne les traite même plus d’incapables ! ». Ben parce que le monde change sûrement.
Cette pratique est évidemment étroitement liée à la culture du smartphone et interroge la notion d’engagement chez nos concitoyens de moins de trente ans. Notre cerveau déteste se désengager, sont ancrées en nous des valeurs telles que le respect de sa parole, le besoin d’être perçu comme une personne fiable, la dignité et l’évidence que nous devons affronter le réel. Mais si l’entreprise, le recruteur et l’équipe qui nous attendent sont transformés en objets virtuels, on peut les effacer de la réalité en swipant, en les balayant d’un geste, il suffit de bloquer le numéro et l’adresse mail. Hop, ça n’existe plus. Il s’agit d’une fuite la plupart du temps, une action délibérée et pensée parfois, mais dans tous les cas, l’employeur n’est plus assuré de retrouver son équipe au complet le matin suivant.
La prochaine étape sera sûrement de forcer les employeurs à des supplications, les bizuter lors d’un entretien d’embauche, leur donner des gages, les contraindre à danser sur du Britney, et les plus valeureux auront l’honneur de signer un contrat avec le nouveau salarié. Un contrat qui n’aura de valeur que le prix du papier sur lequel il est imprimé. Ce qui promet de grands chamboulements et des pertes de repères. Alors, pour conserver une boussole et vivre dans ce nouveau monde sans piquer des crises d’angoisses causées par une incompréhension grandissante, ce monde qui se fissure et s’effrite, et pour apporter du réconfort aux patrons désorientés, vous savez ce qu’il vous reste à faire. Abonnez-vous à Mouais !