On ne présente plus trop Guillaume Meurice qui, entre autres activités, officie sur Inter toutes les semaines de 17 à 18h. Fin de la redevance, droitisation de l’audiovisuel public, censure d’un de ses livres par Bolloré et son empire proto-fasciste, nécessité de la presse indé, rôle du bouffon dans la société, il nous dit tout depuis sa tournée dans une chambre d’hôtel d’Albi aux rideaux moches comme ses pulls de gauchiste.

Mačko Dràgàn : Tes parents ont tenu un kiosque (enfin, à la campagne, on dit « maison de la presse »), tu travailles dans les médias, c’est quoi ton rapport à la presse en général, et à la presse indépendante en particulier ?

Guillaume Meurice : C’est très important pour moi qu’il y ait des médias comme ça. Je suis abonné depuis longtemps au journal Fakir, j’écris gratos, comme Charline [Vanhoenacker] pour Siné Hebdo, qui en échange nous envoie une caisse de rouge tous les ans (rire), je vais bientôt lancer une émission pour Blast, et, oui, j’essaye de soutenir au maximum… Quand j’étais ado, je lisais Charlie Hebdo, le Canard Enchaîné, j’ai toujours été attiré par cette presse-là. Déjà, parce qu’elle se permet d’être drôle, et ça c’est pas négligeable à mes yeux, en tous les cas c’est ce qui m’a attiré d’abord, plus que les enquêtes politiques… Je préférais les dessins de presse, qui me faisaient marrer. Puis j’ai développé une conscience politique. Donc c’est aussi une porte d’entrée. L’humour, on l’a vu avec les Guignols de la grande époque, c’est une belle porte d’entrée vers le politique. Et ça, c’est surtout possible dans la presse indépendante, au sens strict, sans publicité, sans millionnaires, où tu peux te permettre ces pas de côtés. Ça, et le côté « reportage ». C’est ce que j’aime dans Fakir, aller sur le terrain, voir les gens, faire tout le taf journalistique de recoupement, de mise en perspective, bref tout un temps long que la presse dite « mainstream » ne permet pas, ayant un besoin de rentabilité immédiate, à court terme, car derrière tu as des actionnaires, des boites qui veulent un retour sur investissement dans la mesure où ce qu’elles ont acheté, c’est un espace de pub ; si tu leur dit « le papier sortira dans deux mois », elles ne vont pas rester longtemps… C’est pas les mêmes économies. Donc voilà, je défend la presse indépendante pour plein de raisons, et notamment pour celles-là.

M.D. : Dans un entretien avec Blast, tu as déclaré : « le fait qu’on me confonde avec un journaliste n’est pas rassurant pour ce milieu », tu peux revenir là-dessus ? C’est quoi, pour toi, justement, le rôle d’un journaliste ?

G.M. : De la même manière que certains politiques se plantent en prenant les articles du Gorafi pour de vrais articles, je comprends qu’on me confonde avec un journaliste, car j’utilise un peu les mêmes codes, je vais sur le terrain, j’ai un micro… Mais pour moi, je fais vraiment le même travail que Pascal Praud. C’est un travail éditorial. Sauf que lui se prétend journaliste, et moi, c’est assumé que je donne mon avis, que c’est comme un édito humoristique, et que c’est revendiqué. Des fois les gens me disent « c’est vachement caricatural ce que tu fais », et je leur dis : merci ! C’est le but, puisque je me considère plus proche d’un caricaturiste que d’un journaliste. Mais comme la confusion est de plus en plus totale entre des gens qui viennent sur un plateau juste pour donner leur avis et un vrai travail d’investigation, qui est plus long, plus fastidieux, on me confond de plus en plus avec un journaliste, et ça n’est effectivement pas rassurant.

Le distingo devrait se faire rapidement entre « lui, il est là pour amuser la galerie », et le journalisme, qui n’est pas facile à définir, mais aller, on va reprendre la phrase un peu tarte à la crème d’Albert Londres : « Porter la plume dans la plaie », ou une autre phrase que j’aime bien, la devise du cour de théâtre où j’allais : « Dire au monde qui il est ». Ça fait un peu poético-nébuleux, mais je trouve que ça résume bien. Se rapprocher au mieux de la réalité, sachant que c’est impossible de décrire une réalité « pure et objective » car on passe forcément par ses propres prismes, ses affects, mais aller au plus à l’os, avoir cette volonté-là -qui n’est pas du tout la mienne. Un humoriste, tout ce qu’on lui demande, c’est d’être marrant, de faire rire avec ses obsession, avec ce qui l’anime ; moi en l’occurrence c’est le fait que cet animal « supérieur » qu’est l’humain arrive à vivre aussi mal, jusqu’à mettre en péril sa propre existence…

M.D. : Donc pour toi l’humour a une fonction politique ?

G.M. : Il faudrait définir ce qu’on entend par « politique », mais pour moi, à partir du moment où tu prends la parole en public, c’est politique. C’est d’ailleurs pour ça qu’on ne fait pas les mêmes blagues en public et avec ses potes en soirée -c’est ce que n’ont pas compris ceux qui disent « on ne peut plus rien dire »… Petite parenthèse, c’est aussi pour ça que quand j’arrive devant les gens pour mes chroniques, je leur dit que c’est pour la radio, je leur présente la thématique, on discute, et après j’enregistre, pour que les gens qui parlent sachent quel est le dispositif : ça n’est pas la même parole, et c’est tant mieux. Fin de la parenthèse, et pour en revenir au sujet, est-ce que l’humoriste a une fonction politique, oui, comme toute personne qui prend la parole en public, et pour être tout à fait complet, à l’inverse, je ne pense pas que la parole d’un humoriste soit « sacrée ». L’humour est justement fait pour désacraliser. Et il y a une petite musique sur le thème « ça va, c’est que des blagues », donc on peut se permettre de tout dire, ou en tous les cas de ne pas être contredit. Non. L’humoriste fait partie de la société, plein de gens ne me trouvent pas drôle et ne manquent jamais de me le rappeler (rire), et je trouve ça sain.

M.D. : Ruffin a déclaré : « Drahi, Bouygues, Arnault, Bolloré, Niel contrôlent la plupart des médias, et face à ça, il est important d’avoir un audiovisuel public de qualité qui peut les mettre en cause ». Ça va devenir beaucoup plus compliqué avec la fin de la redevance ; qu’est-ce que tu en penses, en tant que personne qui bosse dans l’audiovisuel public et vole la redevance des bons français ?

G.M. : Qui vole le contribuable ! (rire) Cette réforme est dramatique, mais ça n’est pas surprenant, car c’est une tendance globale néo-libérale toute bête de casse organisée du service public que tu retrouves partout, dans les hôpitaux, les écoles, un peu moins dans la police, comme c’est les derniers à faire tampon (rire)… Et là, comme ils ne peuvent pas d’un coup d’un seul dire « on vend Radio France et France Télévision à Bolloré » parce que ça se verrait trop et qu’il y aurait des blocages, ça se fait petit à petit. Le premier moove pour eux, ce n’est pas de privatiser, mais de commencer par supprimer la redevance. Ils vont continuer à te dire que le service public reste financé par les impôts, sauf que avant, tu avais une somme spécifiquement allouée, et maintenant, elle va être intégrée au budget de l’État, -donc soumise à une volonté politique. Selon le gouvernement, selon le parlement, tu vas avoir plus ou moins d’argent consacré à l’audiovisuel public -qui est soumis au politique, ce qui n’était pas le cas avant. C’est vraiment une volonté de péter le service public, d’imposer un rapport de force. Avec ce que ça implique de tri, d’autocensure… On imagine souvent que l’ingérence, c’est un mec qui va prendre son téléphone pour dire je veux ci ou çà, mais c’est plus pervers. C’est plein de gens qui ont des intérêts communs, qui n’ont pas besoin de se parler -et c’est pour ça que les complotistes me font un peu marrer-, ça se fait tout seul. Regarde quand Bolloré rachète Canal et décide de faire de I-télé le FoxNews à la française : tu as des Pascal Praud qui acceptent de rester, et tu en as qui résistent, mais au bout d’un moment, qu’est-ce que tu veux… C’est sa « propriété », il fait ce qu’il veut.

M.D. : Bolloré, justement, est en train de faire une OPA monstrueuse sur l’univers des médias et de l’édition… Et tu en as fait les frais, à cause d’une phrase dans le manuscrit d’un bouquin à paraître dans une de « ses » maisons d’édition : « Faire long feu : Expression remplacée aujourd’hui par “révéler sur Canal + les malversations de Vincent Bolloré. » Très ironiquement, cette phrase-là a été… censurée.

G.M. : Ouais c’est vraiment « ce qu’il fallait démontrer » (rire). Ça me fait penser à une chronique où j’interviewais un Serbe à un meeting du RN. J’avais dit que discuter avec un Serbe faisait chuter l’espérance de vie, et en signe de mécontentement j’avais reçu… des menaces de mort en Serbe (rire) ! Là c’est pareil. Bolloré, c’est un mec sans foi ni loi qui peut te virer comme il veut quand il veut. Et qui le prouve. Après, c’est ridicule, certes, mais c’est une vrai stratégie de sa part : mettre tout le monde au pas. De la même manière à Canal +, il a dit « ça se fera comme ça, si vous êtes pas contents vous vous barrez », et là c’est la même volonté d’écraser, que je ne prend pas perso, je le connais pas ce type ; c’est au-delà de ma personne. Ça fait penser à Stéphane Guy, un pote de Sébastien Thoen, un humoriste Canal viré pour avoir fait un sketch très marrant où il se moquait de Pascal Praud. Et Guy, qui était commentateur sportif, à la mi-temps d’un match, a juste dit : « Petit salut amical à Sébastien Thoen ». C’est tout. Eh bien il s’est fait tej’ ! C’est bien pire que moi, d’autant plus que lui faisait plutôt parti des gars loyaux restés sur la chaîne. Pour Bolloré, tu n’existes pas. Pour mon bouquin, ça a du remonter sur son bureau, il a dit « ça non, vous m’imprimez pas ça », et terminé, c’était réglé.

M.D. : Mais comment il a pu tomber sur cette phrase ?

G.M. : Je ne sais pas, il aurait fallu être dans les arcanes du truc. Ce que je sais de mon côté, c’est qu’il y avait un peu un sentiment de trouille au sein de l’équipe du Robert, -sachant quand même que je ne leur avait rien demandé, il sont venus me chercher, connaissant ce que je fais, et que je considère quand même comme étant plutôt gentillet. Et au printemps, ils me demandent de modifier des trucs, genre ne pas citer Louboutin, je leur ai dit non, parce que je peut modifier des trucs mal écrits, ou qui marchent pas, mais pas ça. Puis je pense que c’est l’éditrice qui a fait remonter à son N+1, et ainsi de suite… Tu sais, une sorte de mélange de zèle et de panique. Ils font remonter chacun leur tour, et Bolloré, il n’est jamais très loin, dans la chaîne -à Canal, il s’est même mis à écrire des sketch pour les guignols… Mais honnêtement, je l’ai pas du tout anticipé, ce truc. Déjà, quand j’ai signé, je savais pas du tout que le Robert appartenait à Bolloré -ça appartient à Editis qui appartient à Vivendi qui appartient à Bolloré… Donc je l’ai su, j’ai rajouté ça, et je me suis dit : « dans tous les cas, comme ça lui appartient, il va pas porter plainte contre lui-même » (rire)… C’est absurde, je ne sais pas pourquoi des gens lui ont fait remonter.

Bon, c’est entre les mains d’avocats, affaire à suivre… Là ils nous ont redonné les droits -sans dédommagements, hein-, et je continue la bataille pour savoir si juridiquement, en France, un seul mec a le droit de bloquer la parution d’un livre. Je veux savoir si on vit dans ce pays-là. Sachant que c’est un symbole terrifiant envoyé au monde de l’édition -et chez Hachette, ils flippent, car ils vont se faire racheter aussi. D’ailleurs toutes les propositions d’édition du bouquin que je reçois, c’est tout le monde, sauf ceux qui vont se faire racheter (rire). Mais c’est assez terrible, car au-delà de moi, qui n’ai pas besoin de ça pour vivre, tu as des gens qui vont écrire des enquêtes, qui bossent sur des trucs costauds, intéressants, et qui verront leurs bouquins systématiquement censurés, caviardés… J’ai reçu des mails d’autrices et d’auteurs qui m’ont dit qu’il leur était arrivé la même chose, et moi, j’ai eu la chance d’être médiatisé, mais c’est pas le cas de tout le monde… Et même si tu es publié, il faut être distribué : et le premier diffuseur en France, c’est qui ? Interforum. Donc : Bolloré (rire). Tu peux passer par une petite maison d’édition, il pourra quand même te bloquer. Il est partout. Et avec un agenda politique d’extrême-droite clairement assumé, on ne peut pas lui reprocher d’avancer masqué. Tout ça est assez flippant.

M.D. : Et face à l’empire Bolloré, tu as donc notamment le service public France Inter, que les éditorialistes de Cnews exècrent (1). Mais tout n’est pas rose non plus. Comme l’écrivait David Garcia dans un article du Monde diplomatique (2) : « Alors qu’ils représentent à peine un cinquième de la population active, les cadres et professions intellectuelles supérieures monopolisent les micros de la radio publique […] Aussi talentueux et imaginatifs soient-ils, les Vanhoenacker et Meurice, pas plus que Didier Porte autrefois, ne sont en mesure d’infléchir la ligne d’une radio confisquée par une classe socialement privilégiée ». Qu’en dis-tu ? D’autant que je trouve la ligne de plus en plus en marquée à droite, avec une Matinale Salamé/Demorand tout simplement insupportable…

G.M. : Ça je ne sais pas, la Matinale je ne l’écoute pas. Je comprends pas qu’on s’inflige ça dès le matin. Une interview de Bruno le Maire par Salamé ? Je mange pas des clous au petit dej’, en fait (rire). Pour commencer, je veux quand même préciser qu’un sociologue issu des classes supérieures qui va parler pendant 20 minutes des classes populaires, ce n’est pas forcément inutile, donc je trouve que cet argument de la représentativité des classes a aussi ses limites. On peut être de la classe « aisée » et défendre les prolos -comme Ruffin, qui je pense gagne bien sa vie. Bon, et pour le reste de la grille d’Inter, je ne pourrais pas trop en parler, nous on est un peu le village d’Astérix, on a notre bureau dans notre coin, on rigole, on boit des coups… On n’est pas du tout dans l’ambiance de la rédac’, c’est même pas le même étage.

M.D. : Et pour la question de la ligne éditoriale, est-ce que tu n’as pas l’impression d’être une des cautions « gauchistes » de Inter ?

G.M. : Ouais, c’est une question qui se pose. J’ai d’ailleurs fait tout un bouquin là-dessus, sur le bouffon de François 1er (3). Et je m’y demande notamment, à partir de ce thème du bouffon, à partir de quel moment une culture permet que tu la critiques, et à partir de quel moment la critique renforce la structure. Le bouffon, c’était ça : le roi disait, « il n’y a qu’une personne qui a le droit, et c’est toi », et tu as des grelots, et en quelque sorte la critique est neutralisée. Pour Inter, oui, il y a un peu de ça, et honnêtement, j’ai pas la réponse. Je pense qu’il n’y a pas de réponse fermée là-dessus, à quel point nous, dans notre émission, on peut être la caution, et à quel point la direction, quand ils se font emmerder en mode « dites-donc, vous êtes vachement à droite » ils répondent « ben non regardez, il y a Vanhoenacker et Meurice ». C’est possible que ce soit ça. La question qui se pose donc c’est : est-ce que je continue quand même ? Égoïstement, je suis content d’être là, je dis ce que je veux, je m’amuse bien… Si j’avais la certitude que je servais de caution à un système complètement pourri, si je me sentais suppôt du pouvoir, je me barrerais, ouais. Et je dis pas que j’ai raison de rester… C’est une vraie question que je me pose, et je sais pas si j’aurais la réponse un jour. C’est une zone grise, où l’on se trouve. Et avec Charline, c’est des discussions qu’on a chaque année. Mais peut-être justement que le rôle de l’humoriste, pour extrapoler, c’est celui de soupape… Alors est-ce qu’il faut ne pas le faire car ça fait potentiellement baisser la tension sociale ? Bref, pour résumer le truc, il y a une phrase de Didier Super dont je me sers tout le temps qui dit : « Mieux vaut en rire que s’en foutre ». Et voilà, je me dis que au moins, comme moi quand j’étais ado, les jeunes qui nous écoutent, car on est pas mal écoutés par des jeunes en podcast, vont rire, et s’intéresser à des sujets, et se politiser sur cette base.

Un article tiré du Mouais n°34, consacré aux médias libres ; pour les soutenir, une seule solution, ABONNEZ-VOUS PAR PITIÉ car la vie n’est pas tous les jours facile pour les journalistes bénévoles et Macko a besoin d’argent pour payer des croquettes à son chat : https://www.helloasso.com/associations/association-pour-la-reconnaissance-des-medias-alternatifs-arma/paiements/abonnement-mouais

(1) Hanouna s’en est ainsi récemment pris au « bobos comme Sofia Aram, Guillaume Meurice (…) hein cette bande… c’est nous qui les payons (…) cette bande d’abrutis (…) qui nous mettent dans la gueule toute la journée (…) qui ne pensent qu’à leur petite gueule ». Sic.

(2) “France Inter, écoutez leurs préférences”, David Garcia, Le Monde diplomatique, août 2020

(3) Le Roi n’avait pas ri, ed. Le Livre de poche