Ou comment ne pas sortir de l’horreur. Dans son dernier livre, l’écrivain Thierry Vimal, qui a perdu sa fille lors de l’attentat de Nice, se penche sur l’indemnisation des familles des victimes, un protocole juridique in pretium doloris, « aux titres des souffrances endurées ». Dans ce roman d’enquête et de dénonciation, il pointe les expertises violentes des psychiatres sur les victimes oculaires de l’horreur de cette attentat, particulièrement, les enfants. Entretien.

En juin 2021, nous nous entretenions déjà avec l’écrivain Thierry Vimal, notre voisin de l’ancien siège de Mouais, au 20 rue de la Condamine, d’où nous avons finalement été expulsé.e.s, Mačko Dràgàn et Jide, nos journalistes, ainsi que Mojora, notre chat mascotte. Depuis, notre ancien appartement est toujours vide mais Thierry Vimal, lui, a rempli les pages d’un nouveau roman. « Au titre des souffrances endurées », au Cherche Midi, a été récompensé par le prix littéraire « Nice baie des anges ». Lors de notre précédent entretien [1] nous apprenions, sidéré.e.s, que des organes avaient été prélevé sur les corps des victimes sans que les familles n’en soient nécessairement avisées. Cette fois ci, nous abordons pour la première fois le cas de la méthodologie techno-bureaucratique des expertises psychologiques permettant de fixer un barème d’indemnisation « au titre des souffrances endurées » : une note comprise entre 0 et 10, à la virgule près… A quelques encablures de notre ancien immeuble commun, à la terrasse d’une ruelle pentue de la vieille ville médiévale de Nice, installés autour d’un verre, nous débutons ce deuxième entretien.

Mouais : Salut Thierry, merci de nous accorder du temps pour parler de ton dernier roman. De quoi s’agit-il ?

Thierry Vimal : Deux ans de travail et 300 pages. Après 19 tonnes [publié en 2019, NDLR], dans lequel je décrivais l’horreur du traumatisme que nous avions vécus, ma famille et les autres proches des victimes de l’attentat de Nice du 14 juillet 2016, cette fois-ci je poursuis mon travail, au travers d’un roman d’enquête et de dénonciation. Notamment sur les expertises violentes des psychiatres sur les victimes oculaires de l’horreur de cette attentat, particulièrement, les enfants. Il faut se rendre compte qu’à l’échelle du monde, la tragédie de Nice est unique dans le sens qu’elle applique un protocole juridique pour déterminer l’indemnité [2] selon la formule latine in pretium doloris, aux titres des souffrances endurées.

M : Pourquoi est-ce si spécial ?

TV : Parce que 90 % des enfants victimes oculaires d’attentat vivent à Nice et que c’est un cas d’école. Enfin, clinique, pourrais-je dire. Les enfants ont besoin de faire leur vie après avoir perdu des proches dans ces contextes horribles. Or, les expertises des psychiatres sont extrêmement violentes et dérangeantes. « Est-ce que ton père avait des gestes déplacés avec toi ». Voilà jusqu’où les questions peuvent aller. Et pourquoi ? Pour calculer le montant de l’indemnité légale en fonction d’une note allant de 0 à 10. Par exemple, mon frère a une note supérieure à la mienne, 4,5 contre 4 me concernant. Nous n’avons pas eu le même expert. Voilà le genre de situation concrète auxquelles nous avons à faire.

C’est l’objet de mon bouquin. Le délire de ces multi-expertises délirantes. C’est pourquoi nous avons refusé que notre fille soit expertisée pour qu’elle puisse reprendre une vie de jeune la plus normale possible.

M : Cela me rappelle les prélèvements d’organe sur le corps de ta fille dont tu parles dans ton précédent bouquin [19 Tonnes, NDLR] ?

TV : J’y reviens dans mon nouveau roman aussi. Pourquoi avoir prélevé des organes pour expertises médicales sur des victimes d’attentat, alors qu’ils sont inutilisables ? C’est l’autre sujet. Personne ne parle de ça. Qu’est-ce qu’ils bricolent avec ces 13 organes, le cœur, l’encéphale, les cordes vocales, etc…, sans prévenir les familles ? Nous avons eu l’information par hasard semble-t-il, ou a-t-on voulu me prévenir personnellement alors que j’étais président de l’association des victimes ? Nous avons eu accès au procès-verbal de la mise sous scellé des organes, ce qui n’a été le cas que pour quelques proches de victime. Nous n’avons pas pu incinérer notre fille correctement. Le corps était vide.

M : Où en êtes-vous aujourd’hui dans votre démarche de deuil ?

TV : Officiellement, nous savons que les 13 organes étaient sous scellés à l’institut médico-légal, ce qui n’est plus le cas actuellement. Nous pouvons dont les récupérer, mais il y a des incohérences, certains organes seraient ceux d’une fille de 20 ans. Nous demandons une expertise ADN pour être certain qu’on nous rende notre fille… Tout cela pour avoir une tombe au lieu de deux actuellement.

M : La techno-bureaucratie pourrit vraiment nos vies [3] ?

TV : Littéralement… On souhaite faire évoluer la loi pour que cette procédure soit transparente. Et on demande des excuses, sachant que pour les autorités, « excuses publiques et indemnités » marchent de pairs…

M : Tu disais que malgré le sujet passionnant et les révélations, les ventes ne décollent pas ?

TV : Le sujet est morose et les gens n’ont pas envie de lire ça. La littérature engagée et qui dérange, c’est bienvenu que quand ça dérange de loin. Après, être lauréat d’un prix littéraire [colauréat du prix littéraire « Nice baie des anges » NDLR] est une reconnaissance importante. Chose exceptionnelle, cette année, nous avons été deux à le recevoir. Le débat pour choisir a dû être particulièrement rude… On imagine que certains n’auraient pas souhaité mettre en avant mon livre, tandis que d’autres m’ont fait l’honneur de reconnaître mon travail. Je les en remercie.

M : Un dernier mot ?

TV : En 1999, pour mon premier bouquin, j’étais en direct à la télé chez Pivot pour sa célèbre émission littéraire « Bouillon de culture » dans laquelle je témoignais sur la thématique « fin de siècle, mœurs et comportements ». Je décrivais alors ma vie de petit bourgeois qui se défonçait en rave party. Maintenant que je dénonce des trucs de ouf, tout le monde s’en fout… 

Propos recueillis par Jide. https://www.helloasso.com/associations/association-pour-la-reconnaissance-des-medias-alternatifs-arma/paiements/abonnement-mouais

[1] Lire dans Mouais 18, juin 2021, page 10/11, « Santé Mentale, Climat Social ».

[2] www.monindemnite.com/souffrances-endurees

[3] Titre d’un article paru dans Mouais 8 « le bachas de l’été », juillet/aout 2022, page 12 et 13.