Alors que la Guadeloupe ne se laisse pas intimider par les gros muscles du ministre de l’Intérieur, celui des Outre-mer tente de jouer la carte de l’apaisement… en menaçant les insulaires d’un lâchage complet par la France.

Le ministre des Outre-mer, Sébastien Lecornu (appelons-le Seb), ne s’est pas déplacé, il ne souhaitait pas mobiliser des gendarmes et policiers pour sa venue. Alors, il a organisé une visioconférence avec des maires et autres élus guadeloupéens. Et hier, vendredi 26 novembre, il a enregistré une vidéo (« Allocution du 26 novembre 2021 du ministre des Outre-mer Sébastien Lecornu »), diffusée sur le Youtube du Ministère concerné, dans laquelle il fait le point sur les « échanges nourris » et les réunions à Matignon. « J’ai souhaité m’adresser directement à vous aujourd’hui », un face-caméra de 16 minutes qui totalise à peine 2000 vues aujourd’hui. Je me demande si quelqu’un dans les Caraïbes l’a écouté ; sur 400 000 habitants du territoire français, combien sont encore intéressés par une parole ministérielle ?

Alors que la hausse des inégalités, le manque d’accès à l’eau potable, à l’éducation et la santé, mais aussi le scandale du chlordécone sont les premières préoccupations des insulaires, les « premières pensées » du ministre vont à toutes les victimes des bloqueurs, toutes ces entreprises qui ne peuvent pas fonctionner et ces enfants qui ne peuvent aller à l’école. Parce que lui, ce qu’il veut, c’est « construire une vision et tracer un chemin pour l’avenir », même si « l’État ne peut pas tout, tout seul » (rhaaa, le copieur de Jospin !). Seb, il bosse hein, c’est trop facile de refaire le passé, plus difficile de se mettre d’accord sur l’avenir affirme-t-il. Hé ben lui, de son bureau parisien, il s’est « mis d’accord avec les élus sur le fait qu’on affronte trois crises différentes » : l’obligation vaccinale, le « malaise structurel, particulièrement dans la jeunesse », et « les actions violentes des voyous, casseurs et pilleurs ».

C’est évidemment « ceux qui basculent dans la violence » qui intéressent Seb en premier lieu, ceux qui « devront répondre de leurs actes devant la justice », car « ils prennent en otage la vie des guadeloupéens, empêchant la libre circulation sur l’archipel, paralysant la vie économique et sociale, entraînant des destructions de biens et générant des images désastreuses pour l’avenir du territoire ».

Car « l’ordre républicain » promis par les autoritaires Jean et Gérald n’est toujours pas revenu sur l’île. Les 200 policiers et gendarmes en renfort et les 50 hommes formés au combat du GIGN et du RAID ont bien réussi à démanteler « la moitié des barrages » selon Seb, et une centaine d’individus ont été arrêtés. Mais ce qu’il semble ignorer, c’est que ces barrages ont été reconstruits, que des arbres continuent d’être coupés pour bloquer les routes, que les points de circulation stratégiques sont toujours contrôlés par des manifestants et que la grève générale illimitée perdure.

Peu de mots sur les 32 revendications de la plateforme d’une grosse trentaine de collectifs guadeloupéens syndicaux, politiques, citoyens et culturels qui dénoncent une détérioration du climat social résultant du « pourrissement volontairement orchestré par l’État, avec la complicité des élus et des médias aux ordres » (communiqué des Organisations en lutte contre l’obligation vaccinale et le pass sanitaire – 19/11/2021) : « dans un courrier daté du 29 septembre 2021, le préfet rejetait l’ensemble des propositions et mettait fin à toutes négociations. La seule réponse des services de l’État et des patrons du privé : arrestations arbitraires, harcèlement des travailleurs, violences policières, condamnations, suspension des contrats de travail et des rémunérations, fermeture des cabinets et suspension des professionnels libéraux ».

La Guadeloupe est un des départements les plus pauvres de France ? Le taux de chômage y est plus de deux fois supérieur à celui de la France métropolitaine (celui des 15-29 ans est de 35%)  ? Plus d’un tiers de la population vit en-dessous du seuil de pauvreté ? Revenons plutôt sur « les troubles commis par ces personnes violentes » nous dit Seb : « la loi doit être appliquée (…) demander à revenir sur l’obligation vaccinale revient à dire que les guadeloupéens peuvent être moins bien soignés et exposés à un risque accru à la contamination du virus. Or, le scandale du chlordécone, c’était justement une dérogation pour les Antilles d’un produit dangereux pourtant interdit partout ailleurs en France » [interdit en 1990, des dérogations successives ont prolongé son usage jusqu’en 1993 sur l’île – NDLR]. Les guadeloupéens apprécieront le parallèle.

Pour les personnels soignants non vaccinés, un « accompagnement individuel » sera mis en place, parce qu’ils sont sûrement trop crétins pour entamer leur schéma vaccinal tout seuls. Soit ces récalcitrants décident de se faire vacciner, soit ils déclarent définitivement refuser le vaccin et s’engagent dans un chemin de réorientation et reconversion professionnelle, soit ils sont définitivement suspendus.

Ah, quand même, Seb a finalement un petit mot pour dire aux guadeloupéens qu’il a bien compris la situation sur l’île, en se lançant dans une rapide énumération : « la crise permanente, les douleurs du quotidien, le chômage endémique, la vie chère, la fiscalité pas toujours adaptée, les défis de l’insularité, le ras-le-bol des coupures d’eau, l’angoisse de la chlordécone, l’odeur insupportable des sargasses » [algues brunes qui produisent de l’hydrogène sulfuré, un gaz toxique, dont la croissance est grandement favorisée par les nutriments contenus dans l’Amazone et L’Orénoque – NDLR]. Contrairement aux « professionnels du commentaire », du « y’a qu’à et faut qu’on », il faut être « méthodique et constant », affirme-t-il avec une voix posée et teintée de sagesse. « Je me souviens de mon premier déplacement [en Guadeloupe], et le courrier que j’ai écrit. Depuis, 6500 fuites [d’eau] réparées (…). La route est longue, mais elle est tracée. D’ici 2027, le problème de l’eau sera résolu (…). C’est un jeune ministre de seulement 35 ans qui vous le dit avec humilité et respect » ; soutenu en plus par un moins jeune président de même pas 44 ans.

Mais sinon, que peut bien annoncer Seb de vraiment concret ? Un somptueux financement de 1000 emplois aidés dans les secteurs non marchands pour les jeunes, en cofinancement avec les élus locaux. Et bientôt… roulement de tambour… il viendra lui-même sur l’île ! Oui oui, il se déplacera, au milieu d’un cortège bleuté et armé, donc vous ne pourrez pas le rater (à moins d’être éborgné en arrivant à la manif’). Pas grand chose d’autre.

Élie Domota, figure de la contestation guadeloupéenne, explique que le gouvernement « est hors-sol » en proposant de nouvelles « instances de dialogue » pour convaincre et accompagner les récalcitrants à la vaccination. « Ce que nous voulons, ce sont des véritables négociations sur l’ensemble des revendications (…). C’est d’ordonner au préfet de ne pas négocier qui génère de l’exaspération et de la violence » (humanité.fr, « Elie Domota : Le gouvernement doit accepter de négocier », 25/11/21). Il ajoute qu’il ne croit plus aux promesses vu que les « fonds de solidarité » mis en place pour faire face aux conséquences de l’épidémie « ont été destinés uniquement aux békés [descendants des colons – NDLR], les gros hôteliers et les grandes entreprises. Le Guadeloupéen qui possède un petit commerce n’a jamais vu la couleur de cette aide ».

La perle de cette allocution ministérielle se trouve à la fin, une petite phrase ouatée qui en dit long : « Certains élus ont posé, en creux, la question de l’autonomie, par rapport à son statut actuel de département Outre-mer. D’après eux, la Guadeloupe pourrait mieux se gérer d’elle-même. Le gouvernement est prêt à en parler ». Je traduis : « Les gars, si vous n’avez pas encore compris les matraques et lacrymos, ben dégagez de la France voilà, y’en a marre de tous vos problèmes situés à 7000 bornes, vous croyez que j’ai que ça à foutre de venir sur votre misérable caillou flottant qui pue l’algue moisie ?! Au final, démerdez-vous ! Et votre plateforme, vous pouvez la flamber avec votre rhum frelaté ! ».

La question de l’autonomie ne figure pas du tout dans les 32 mesures des « Organisations fédérées dans la lutte », il s’agit donc bien d’une menace proférée par Seb-le-jeune. Est-elle réfléchie ? Est-ce une stratégie du désespoir tandis qu’à 200 bornes de là, en Martinique, la grève générale s’amplifie ? Est-ce l’objectif de la macronie, l’aboutissement d’une politique de retrait des services publics ? Doit-on s’attendre à une « contagion » vers la Guyane, la Réunion et Mayotte, comme des journalistes espiègles le disent ? Voire vers l’hexagone ? Il va falloir rapidement former de nouveaux agents du RAID, créer de nouvelles BAC et commander des véhicules blindés… Ah, Gérald me dit qu’il s’en occupe déjà. Ouf.

par Bob